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Le journaliste masqué

"Nous sommes des enquêteurs, pas des procureurs"

Portrait-robot du journaliste britannique

Portrait-robot du journaliste britannique

Les bouleversements que connaissent les media ont donné lieu à une littérature abondante, tant des professionnels (surtout), mettant en avant leur retour d’expérience dans tel ou tel journal, que d’experts/universitaires es journalisme.

L’étude de l’université d’Oxford, sortie en mai 2016 par son ‘Reuters Institute for the Study of Journalism’, a cela de précieux qu’elle dresse un portrait-robot du journaliste britannique actuel. C’est-à-dire en se focalisant sur ceux qui font vivre un media, et non le media lui-même. De fait, elle s’appuie sur un questionnaire envoyé en décembre 2015 à 64 000 journalistes et, bien qu’elle n’ait obtenu que 700 réponses (tout de même), cela met en évidence quelques tendances lourdes, résumées ci-après.

Pour information, elles sont en page 7/8 du document mais la lecture de celui-ci est vraiment à conseiller, pour ceux/celles s’intéressant à la problématique (et ceux qui doutent de mon anglais aussi…).

Sociologie et conditions matérielles

Le parallèle avec la France est frappant. Ainsi, au Royaume-Uni, le milieu des journalistes souffre d’une faible diversité ethnique tandis que la proportion de croyants (au sens religieux) est moindre que dans le reste de la population. Politiquement, la moitié des répondants au questionnaire se dit de centre-gauche, 25% du centre et 25% de droite. Toutefois, le centre-droit, note l’étude, progresse.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses, notamment chez les jeunes professionnelles, mais restent minoritaires dans les hautes fonctions. Et avec des salaires moindres. En outre, les journalistes (hommes et femmes) sont de plus en plus ‘éduqués’. Des nouvelles générations, devenues journalistes en 2013-2015, 98% ont une licence et 36% un master. A noter qu’en France, on est plutôt dans une logique de master et d’école de journalisme (donc Bac +5).

Quant à la question salariale, elle est révélatrice de l’état de la profession. Selon l’étude, 20% des journalistes sont au SMIC… ou moins quand 27% ont un autre travail rémunéré. Enfin, 54% travaillent sur un seul media et travailler sur plusieurs ne donne apparemment pas de bénéfices financiers additionnels.

L’étude montre également que la proportion de journalistes travaillant dans la presse écrite est passée de 56% à 44% depuis 2012, tandis que la proportion travaillant online est passée de 26% à 52%, soit 30 000 journalistes. Toutefois, ceux travaillant exclusivement online sont moins bien payés. En outre, un journaliste presse écrite travaille en moyenne sur 10 sujets par semaine (publiés ou non). Ce chiffre est de 20 pour les journalistes qui sont exclusivement sur le online.

Enfin, 53% des journalistes sont des spécialistes, principalement de l’économie, de la culture, du sport ou du divertissement. Peu le sont sur la politique, les sciences ou encore la religion.

Rôle dans la société

D’après les journalistes ayant répondus, ils voient plutôt leur rôle comme étant de fournir de l’information vérifiable, de détenir le ‘pouvoir’ de rendre compte, et de divertir. Peu se voit en ‘adversaire du gouvernement’. Les journalistes radio, plus que ceux travaillant exclusivement sur le support web, pensent que leur rôle est de laisser les gens exprimer leurs points de vue. Enfin, 45% des journalistes pensent qu’il est très ou extrêmement important de fournir des informations qui attirent la plus large audience.

Pourtant, deux fois plus de journalistes pensent que leur liberté éditoriale a baissé avec le temps, quand les autres pensent le contraire. Du fait de la course à l’audience et de la concurrence entre les media, tout ceci ayant des incidences sur la diversité des informations traitées ? Une grande majorité pense que le temps alloué aux enquêtes et à la recherche d’information s’est réduit tandis que l’influence de considérations commerciales et de relations publiques a augmenté.

Toutefois, selon les journalistes, l’éthique, les lois/régulations concernant les media, la politique éditoriale, les superviseurs (rédac chef…) ont la plus grande influence sur leur travail. Inversement, la plupart des journalistes pensent que les propriétaires de media et les considérations commerciales (donc, de profit) ont une petite influence sur leur travail, bien que ces ‘sources d’influence’ sont rarement mises en œuvre directement. Elles se voient plutôt de manière indirecte, via des contraintes organisationnelles.

De même, si les journalistes, dans leur travail, attribuent peu d’influence aux hommes politiques, groupes de pression, fonctionnaires, personnes des relations publiques… une large majorité leur reconnaît une influence en tant que source d’information. De fait, les personnes et/ou propos cités dans les articles, enquêtes ou reportages viennent de ces catégories socio-professionnelles.

Et en France ?

Pour conclure sur cette étude, deux constats (parmi plein d’autres) me semblent assez justes et applicables à la France. Ainsi, la plupart des journalistes au Royaume-Uni pense que la profession a perdu de sa crédibilité au fil du temps. Dans le même temps, l’importance des compétences techniques et l’influence des réseaux sociaux sont dorénavant prépondérantes.

Toutefois, à ma connaissance, il n’existe pas d’études sur les journalistes français, sous forme de questionnaire afin d’analyser leurs perceptions des évolutions qu’a connu la profession sur la dernière décennie. Peut-être cela pourrait-il être porté par l’Observatoire de la Déontologie de l’Information dans un prochain rapport ?

L’avantage serait de construire un constat partagé par tous afin de trouver des solutions pérennes pour la presse. Surtout, de sortir du sempiternel cercle vicieux qui veut qu’à chaque crise (générale ou d’un journal), on réponde par des aides financières. C’est remettre 100 balles dans la machine alors qu’il est nécessaire de changer de paradigme. Il y a pourtant urgence. Les signes annonciateurs d’une disparition pure et simple du journaliste et des journaux comme piliers du système démocratique sont visibles et récurrents.

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