Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le journaliste masqué

"Nous sommes des enquêteurs, pas des procureurs"

Le traitement médiatique de la Saint-Sylvestre en Allemagne

Saint-Sylvestre à Cologne : des media autistes ?

Saint-Sylvestre à Cologne : des media autistes ?

En France, nous avions l’habitude d’ergoter sur le nombre de véhicules incendiés lors de la nuit de la Saint-Sylvestre, arguant que le pouvoir en place – de gauche comme de droite – cachait les statistiques afin de démontrer l’efficacité de sa politique en matière de lutte contre la délinquance. L’effet de mode est passé. Toutefois, les questionnements demeurent sur notre politique de sécurité et sur notre sécurité en générale. Mais comment l’évaluer ? Par la simple question ‘vous sentez-vous en sécurité ?’ ?

Cela renvoie au traitement médiatique de cette problématique, c’est-à-dire (n’en déplaise à certains) du formatage de la perception des citoyens. Un exemple récent permet de mieux comprendre cela : la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne en Allemagne. Loin d’en faire une analyse détaillée, il convient de s’interroger sur la mécanique en œuvre, les acteurs en présence mais aussi sur « le fond de l’air ».

Omission puis emballement médiatique

De prime abord, il y a trois questions sous-jacentes : la première concerne les faits en eux-mêmes. La deuxième pointe le rôle de la police. La dernière concerne le rôle des media, avec cette question légitime : occultation volontaire ou incompétence journalistique ? Toutefois, une idée force tend à s’imposer, promue par l’extrême droite : la caste médiatique étant à la solde du pouvoir politique ‘internationaliste et pro-immigration’, l’affaire aurait été cachée sciemment au peuple allemand. Et d’utiliser deux leviers pour marquer les esprits : d’abord, il ne faut pas parler d’agressions mais de viols. Ce qui, en Allemagne, marque d’autant plus les consciences que le pays recense relativement moins de cas de violences sexuelles que la plupart de ses voisins. Ensuite, et indirectement, parler de viols renvoie à l’histoire sombre du pays, notamment le viol de millions de femmes par les soldats de l’Armée rouge en 1945.

Toutefois, ce discours nourrit et se nourrit de l’emballement médiatique, notamment du rôle joué par les déclarations de la police de Cologne. Celle-ci a en effet qualifié la nuit du 31 décembre au 1er janvier, dans un premier temps, comme étant une soirée sans incidents, dans une atmosphère détendue. De quoi faire tiquer plus d’un… au regard du rétropédalage les jours suivants. D’une part, la police revient sur ses déclarations mais surtout, son responsable est mis à pied. Pis, le ministre allemand de la Justice Heiko Maas se demande si les actions n’ont pas été coordonnées. Selon lui, il est difficile de croire que ces événements se soient produits « par hasard ».

De quoi alimenter le ‘bordel médiatique’ mainstream alors que les premières interrogations, pour ne pas dire analyses alambiquées/complotistes, pointaient sur les réseaux sociaux dès le 1er janvier. En effet, le branle-bas policier et judiciaire, pour savoir ce qui s’est réellement passé cette nuit-là, est un aggravant, renforcé par les excuses des grands médias allemands sur leur retard à l’allumage. Rien de mieux donc pour favoriser les dérives complotistes et entériner l’argumentaire des partis d’extrême droite ou anti-islam comme AfD et Pediga. Et ce, alors que les premiers éléments d’enquête font apparaître que les agressions auraient été réalisées principalement par des profils « arabes et nord-africains »…

L’amalgame se renforce entre ces faits et l’arrivée de migrants en 2015, évalués à plus d’un million de personnes. De plus, il apparaît que ces agressions n’ont pas seulement eu lieu à Cologne mais également à Stuttgart et Hambourg. De même, dans d’autres pays, ce genre de fait a également été occulté, comme en Suède ou encore en Finlande où la police met en garde contre les attaques coordonnées.

Les raccourcis sont rapides entre réfugiés/immigrés musulmans, dont les ‘valeurs’ sont à l’opposer de celles ‘européennes’, et les agressions commises. En effet, beaucoup mettent en avant la place de la femme dans la société musulmane comme facteur explicatif des agressions. Et de rappeler les multiples viols survenus en 2013 en Egypte, lors des manifestations sur la place Tahrir. Mais peu s’interroge sur le mode opératoire, identique à Cologne et sur la place cairote, ni sur des actes identiques commis dans une fête bien allemande, composée majoritairement d’Allemands : la fête de la bière à Munich.

Quelle analyse de la situation ?

Au-delà des faits graves et avérés, il y a une situation médiatique à décrypter afin de sortir de la théorie du complot. Il y a une nécessité de prendre du recul pour comprendre, ce qui est délicat au regard de la défiance généralisée envers le ‘système politico-médiatique’. Le traitement médiatique de l’affaire laisse à désirer : pourquoi ?  

Cela renvoie directement à la situation politique allemande, le pays ayant accueilli un million de réfugiés en 2015. En effet, la conséquence de cette ouverture voulue par la Chancelière Angela Merkel est de renforcer le questionnement (dans les media, par des responsables politiques, par le citoyen…) sur la place de l’islam dans la société allemande et européenne, dont les fondements sont judéo-chrétiens.

Par ailleurs, inconsciemment, la nuit de la Saint-Sylvestre renvoie – doublement – l’Allemagne à son passé. D’abord, à son passé nazi. En effet, un acte d’autorité de la police allemande est appréhendé comme une action ‘fascisante’ à l’encontre de la minorité : hier les juifs, aujourd’hui, les réfugiés/immigrés. Ensuite, à l’occupation soviétique de l’Allemagne de l’Est en 1945 et au viol de millions de femmes allemandes par les soldats de l’armée rouge. Deux arguments explicatifs, selon moi, de l’omission des media, et non pas d’un mensonge volontaire. Il existe un blocage mental, une perception ambiguë de la réalité. Or, cela est à prendre en compte pour comprendre le traitement médiatique de cette nuit-là et sortir de la vision complotiste.

En effet, certains commentateurs ont rapidement trouvé les coupables : les média mainstream aux ordres qui répercutent de fausses informations, empêtrés dans leur mentalité ‘gauchiste’. Inversement, les réseaux sociaux sont le vecteur de l’émergence et de la propagation de la vérité. Le pire est que cette idée est bien ancrée dans les esprits lorsque, une fois l’affaire enclenchée, les media allemands se confondent en excuses de ne pas en avoir vu l’importance plus tôt. Ils déclenchent l’emballement médiatique mais aussi la mise en accusation de la police. Avec une rapide autocritique de leur part, certes. Mais quelle crédibilité leur accorder, dès lors ?

Et en France ?

Les journalistes français auraient tout intérêt à faire une analyse critique du traitement médiatique de la Saint-Sylvestre à Cologne. Le sujet est grave : comment, en trois jours, est-on passé d’une omission à un emballement médiatique, donnant libre cours à toutes les dérives (désinformation) en termes d’analyse ? Y-a-t-il seulement un déni de réalité des media et des politiques sur ce qui s’est passé, comme le martèle l’extrême droite ?

Comme l’explique le sociologue Michel Wieviorka, il y a une forme de lassitude, de résignation dans la société française actuelle. « Le corollaire de la lassitude, c’est la méfiance, qui a changé d’échelle avec Internet, pour devenir le complotisme. On croit moins à la parole officielle, et même aux chiffres officiels, on va chercher soi-même sur Internet d’autres explications, d’autres données… C’est le pire d’Internet, avec toutes les manipulations possibles ».

Aussi, malgré le travail infatigable de spécialistes du fact-checking, ces travers reflètent notre époque, faite d’instantanés et de paraître.  En clair, un journaliste doit s’en tenir aux faits et faire preuve de mesure : il doit donc informer, ‘en temps et en heure’, avec des faits vérifiables. Or, cela vient buter sur l’époque (la course au buzz) couplée à l’avidité pour l’information de chacun d’entre nous. Mais n’est-ce pas là la quintessence du journaliste que de faire preuve de retenue afin d’informer ? A condition de faire preuve de méthodes et non d’idéologie.

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article