15 Février 2016
Fleet Street, berceau des principaux journaux anglais, est aussi une expression couramment reprise pour désigner la presse britannique. Et rien ne vaut un journal anglais reconnu, ici le Financial Times, pour analyser les évolutions de ses pairs ces dernières années. Ainsi, pour le journaliste Henry Mance, qui signe l’article ‘Fleet Street: Rewriting the story’, les journaux britanniques se doivent de réévaluer, pas seulement ce qu’ils écrivent mais aussi la manière de promouvoir leurs contenus. Instructif. Notamment pour les professionnels de la presse en France.
Le journalisme (papier ou online) a-t-il encore un avenir rentable ?
D’abord un constant soulevé par l’auteur : en 2015, le montant alloué à la publicité dans les journaux papier a baissé de 112 millions de livres, représentant ni plus ni moins que la moitié des profits engrangés par la profession. Ainsi, depuis 2010, la baisse est de 30%, le marché de la publicité dans les journaux ‘print’ avoisinant dorénavant les 880 millions de livres. Un exemple encore plus percutant : en 2003, 93% des montants alloués à la publicité dédiée à l’immobilier allaient sur le print. Ce chiffre a baissé de moitié en dix ans, les flux se réorientant vers les sites web spécialisés sur ce marché. De fait, la pub sur Internet n’a cessé d’exploser et représenterait 3 milliards de livres en 2015.
Or, cette évolution est souvent analysée au travers de cette expression, le ‘digital tipping point’. C’est-à-dire, à partir de QUAND les revenus tirés du online vont-ils dépasser les pertes enregistrées par le papier ? Toutefois, certains professionnels revoient actuellement leur questionnement, au regard des évolutions récentes. Selon eux, la question devrait être posée différemment, à savoir : le journalisme, qu’il soit papier ou online, a-t-il encore un avenir profitable (dans le sens rentable) ? Indirectement, une autre question émerge : les professionnels refusant cette réflexion stratégique sur leur devenir sont-ils dans le déni ?
En effet, les défis que connaît la presse d’information sont tendanciels : avènement du téléphone mobile (les annonces sont petites et souvent peu regardées), stratégies des fournisseurs de bloqueurs de publicité (tout le monde en a) ou encore création de nouvelles plateformes de réseaux sociaux. Sans oublier la compétition des nouveaux entrants comme Buzzfeed et Quartz.
Et l’auteur de l’article de rappeler qu’actuellement, le Guardian et The Independent sont dans le rouge et que le Daily Telegraph, le Sun et le Daily Mail ont vu leurs profits fondre de 40% sur la dernière décennie. La presse britannique a pourtant des atouts : ce sont 7 millions de lecteurs quotidiens (certes, contre 13 il y a dix ans), deux sites Internet parmi les plus lu dans le monde (dont le Guardian) et des enquêtes à faire pâlir les professionnels dans le monde entier. Dernier exemple en date, la corruption à la FIFA et l’éviction de Sepp Blatter.
Inversement, l’auteur reconnaît que les tabloïds ont fait du mal à la profession : exemple du hacking téléphonique réalisé par le News of the World et le Sunday Mirror, dans l’objectif de sortir des histoires croustillantes et faire exploser les ventes. Mal leur en a pris.
Les temps changent : comment changer pour perdurer ?
‘Avant’, les lecteurs lisaient le papier et pouvaient s’abonner à la version online du journal afin d’avoir des contenus enrichis ou faciliter la lecture sur leur ordinateur/tablette. Or, la nécessité de proposer de nouveaux contenus est toujours plus grande. Ainsi, l’auteur de l’article, Henry Mance, prend l’exemple du Sun qui a investi dans les droits de la première league anglaise (football)… mais qui n’a pas su inciter ses lecteurs ‘papier’ à souscrire à un abonnement online afin de voir les buts, etc. sur son site Internet. D’où le paradoxe : The Sun, fort de ses 1,8 million de ventes chaque jour, n’a que 225 000 personnes qui ont souscrit à un abonnement online. Autre exemple : le Guardian, qui fa(isa)it pourtant référence dans sa stratégie Internet sur la dernière décennie, a annoncé le mois dernier une perte annuelle de 50 millions de livres et une baisse des coûts de 20 % sur trois ans.
D’où cette question légitime : les stratégies online ont-elles échoué ? En effet, les journaux ont tenté deux stratégies, qu’on pourrait qualifier de quantitative pour l’une, et qualitative pour l’autre :
Bien sûr, les stratégies se complètent même si certains journaux peuvent s’en tenir à une seule strictement. Elles ont chacune leurs avantages et inconvénients mais concernant la première, elle fait de la publicité son alpha et omega. Pour certains, encore aujourd’hui, la publicité sur Internet est la martingale pour sauver la presse. Ce qui est illusoire. En effet, des stratégies d’évitement sont constamment trouvées par le lecteur (les fameux adblocks) et le rôle du smartphone est encore mal pris en compte par les journaux. Quant aux journaux qui ont essayé la publicité déguisée dans certains articles… Inversement, certains professionnels, toujours obnubilés par la pub, en viennent à se poser cette question, sous forme de réflexion stratégique : un journal doit-il devenir une sorte d’agence de publicité, mettant l’accent sur un certain type de narration mêlant faits et marque ?